Les jours où je n'écris pas sont les plus nombreux. Ils viennent comme des barbares, se multiplient parfois jusqu'à atteindre des semaines et des mois. Ils ne me font plus peur. Je n'ai plus peur de rien — que de manquer à cette vie noble qui passe dans ma vie comme elle passe dans n'importe qu'elle vie, même la plus misérable, la plus privée de tout, surtout celle-là. Je n'ai jamais de plan, aucune méthode. Il n'y a pas plus de règles pour l'écriture que pour l'amour. Dans les deux cas il faut y aller seul et sans conseil, sans la croyance qu'il y a des coutumes à respecter, des connaissances à savoir.
Quand je commence à écrire c'est que l'écriture est déjà là entière, n'attendant plus que d'être recopiée. Sinon c'est inutile — pas la peine de la chercher, de l'appeler, de la vouloir. Dès la première phrase le tout du livre est donné. Je ne peux pas dire : ici il n'y a encore rien et la seconde après, le texte arrive.
Je ne peux pas plus le dire que séparer l'endroit où la pluie tombe et l'endroit où elle ne tombe pas. Quand il pleut, on a l'impression qu'il toujours plu et qu'il pleuvra toujours. De même quand il fait beau temps. De même devant l'écriture, devant le déluge de la vie blanche.
Christian Bobin "L'épuisement"